Vous êtes sur la banquette, des heures que vous êtes assis sur la banquette, si on essaie de calculer, à raison de trois ou quatre heures par jour sur la banquette, depuis trente ans, pas sur la même banquette bien sûr, vous en avez changé plusieurs fois quand même, pas que vous ne l’aimiez pas la première, blanche avec des volutes années trente, mais on vous l’a volée, un jour que vous l’aviez déposée dans un garde meubles, vous êtes revenu et elle n’y était plus, une liquidation paraît-il, bizarre de liquider les impayés des garde-meubles avec les meubles des gardés, mais bon sur la banquette depuis trente ans, en comptant 365 jours par an en moyenne, on fera grâce des années bissextiles, cela fait 10.950 jours, 32.850 heures, arrondi tout cela évidemment, vous aimez les chiffres mais pas au point de calculer exactement combien d’heures vous passez sur une banquette, disons que c’est une estimation, oui, ce n’est pas mal le mot estimation, les journaux aiment bien les estimations, estimation des gens de droite, estimation des gens de gauche, estimation des votants et des opposants, estimation des rangs dans les manifestations ou de l’audience d’un meeting, on estime, on estime, on s’estime, oui on s’estime beaucoup histoire de ne pas dire que l’on se déteste encore plus. Enfin, quand vous y réfléchissez 32.850 heures sur une banquette, heures estimées, soit vous avez pour l’assoupissement une propension extrême, soit vous vous ennuyez ferme dans cette vie à ne causer qu’avec votre banquette, sans compter que lorsque vous n’êtes pas assis à cet endroit précis vous êtes assis en un autre endroit, la chaise de votre bureau, le siège de l’autobus, le fauteuil du cinéma, en fait vous êtes toujours assis quelque part à attendre, les heures passent, ou ne passent pas c’est selon, les heures défilent à attendre, vous ne prononcez pas le mot mais qu’est-ce que ça peut bien être sinon la mort, car comment peut-on réellement passer 32.850 heures estimées sur une banquette si l’on ne vise pas autre chose que la mort, encore que le terme viser soit inapproprié, pour viser la mort il vaut mieux songer au saut à l’élastique ou à la varappe, sur la banquette c’est bien le terme qui convient il n’y en a pas d’autre on attend la mort, on ne la provoque pas on ne l’accélère pas encore que les experts en santé ne partageraient pas cet avis considérant que sur la banquette on attend l’infarctus ou le caillot sanguin mais si le corps n’y met pas trop du sien il y a des corps qui refusent de collaborer qui continuent d’aller leur train-train sans vergogne qui battent leurs quatre-vingts coups la seconde et soufflent leur gaz carbonique après avoir inspiré l’oxygène tout cela avec une constance absolue sans fabriquer trop de parasites comme une bonne mécanique rôdée, sur la banquette avec un corps donnant toute obéissance à la physiologie on attend la mort à retardement.