Jacmel, Haïti
Sur la rue, s’élève une maisonnette de bois rosé, aux angles soulignés de vert, abritant une minuscule épicerie. En passant par l’arrière-boutique, au milieu des caisses de kola et des conserves de fer, on pénètre dans une cour où la table est dressée : nappe usagée, tasses et cuillères. Cahin-caha, des cabanons, poudrés de cendre grise, se sont logés tout autour, les portes en sont mal jointes et les toitures improvisées laissent filtrer les rais de la lumière. Des canards, des poules, vont et viennent en liberté, picorant çà et là le sol dur.
Le dimanche est jour de sacrifice.
C’est l’affaire d’un instant : une grosse paysanne capture un poulet dans ses bras, et, d’un coup de couteau décidé, lui tranche la gorge.
Le sang coule. Craintive, une fillette, qui doit n’avoir pas quatre ans, s’approche… à son coude un seau d’eau trop lourd pour ses membres menus. Elle lave les mains de sa maîtresse, puis rince la dépouille encore chaude de l’animal.
Elle travaille sans répugnance, sans dégoût, gravement concentrée sur sa tâche, comme une enfant trop sage. Frêle silhouette sous la robe, pâquerette salie, elle s’affaire sans se disperser, petite femme, petite mère, petite esclave.
Les plumes s’envolent, une à une, sous les coups secs de ses doigts experts… et la volaille, en sa chair glabre, s’épand comme une offrande livrée à notre barbarie.