– Haussmann : Le mot indispensable, celui qui, de 1853 à 1870, résume toute mon action, est le mot de Transformation, j’y mets une majuscule afin d’indiquer qu’il ne s’agit pas, comme on l’a dit souvent, de travaux mais d’une œuvre. D’une juxtaposition erratique de masures infectes, de rues putrides, la Ville est devenue une organisation déchiffrable, lumineuse, accédant à ce rayonnement universel qu’elle méritait sans pouvoir le revendiquer pleinement.
Mon tort a été de ne pas conserver les traces écrites des mille échanges entretenus au fil des ans, de ne pas avoir consigné régulièrement le détail des remarques qui donnerait aujourd’hui toute sa saveur à l’histoire de la transformation de Paris. Ce tort se mesure en songeant simplement de quel prix serait aujourd’hui une chronique de Trajan récapitulant les débats autour de la construction de Rome… J’aurais pu mettre sous les yeux de mes lecteurs les arguments, les descriptions, comment chaque projet s’était négocié et ils auraient mieux compris deux décennies d’une architecture puissante supportée par l’immuable volonté de conférer à la Ville son prestige unique. Mes Mémoires consignent néanmoins l’essentiel de ce qui fut une vie dédiée au service de l’Empereur d’abord, et, à travers lui, au service de la Cité-Reine.
Le Baron avait considérablement travaillé, dressant sur cinq étages des immeubles permettant d’accroître la densité au kilomètre carré, il avait tracé de soigneuses perspectives d’une largeur égale à la hauteur de ses façades, déchaînant une spéculation qui ne s’était jamais vraiment relâchée, avec le temps, au contraire, le mouvement d’expulsion des pauvres vers la périphérie s’était systématisé, et s’installer au cœur de la capitale supposait soit un héritage préalable, soit une ingéniosité manifeste. Zola, ne transportant pas son logis sur le dos, devait donc le trouver. Comme tout mammifère, elle avait connu le premier, l’unique, celui que personne n’a pensé perdre et dont la nostalgie constitue peut-être le seul trait de fidélité jusqu’à la mort, un ventre, nuit et sommeil, et sang et battement, et longues aspirations liquides, l’anticipation du désir par la satisfaction du désir. Des logis elle avait la chance d’en avoir eu, quand d’autres devaient se contenter d’un pan de tôle ondulée ou du renfoncement d’un trottoir, mais, comme si la perte initiale avait troublé ses repères, elle ne s’était installée dans aucun, partant à la recherche du suivant, celui qui répondrait à son besoin, à son attente, qui serait ce ventre de sommeil et de nuit et de douleur inconnue, elle cheminait vers cet antre, sa tombe peut-être, ce qu’il convient d’appeler la dernière demeure, et cette fois le terme de demeurer prend bien son sens extrême, rester, ne plus bouger dans un figement éternel et grotesque.