Il y avait une chose en lui qui ne voulait pas se dire, une chose qui ne voulait pas se dire car elle n’était pas dicible, une chose dont il avait honte mais qu’il voulait renverser en accusation, une faute qui lui pesait mais dont il aurait voulu faire la faute des autres. Il y avait qu’il se moquait du Druzukstan, que le Druzukstan pour lui n’était pas un pays, que c’était une province pitoyable et perdue dont pas un être civilisé n’avait entendu parler, il y avait qu’il souffrait d’être né dans ce pays, de porter ce pays comme son pays, il savait que s’il y avait jamais mis sa force c’était par ennui, par dépit, pour occuper sa jeunesse libre et fervente, mais qu’il avait mal de cette appartenance, qu’elle le ridiculisait, l’avilissait, l’asservissait, il y avait qu’aucun honneur ne viendrait à régner sur un tel pays, oui, en s’arrêtant à Bressova il avait mesuré cela que la politique agissante, décisoire, demeurait en dépit de tout la politique des états du Mérien ; l’Aquilie, la Gastonie, la Vergne, c’étaient les grands états, mais les autres, il ne les regardait qu’avec mépris. Il alla jusqu’à la fenêtre, les mains moites, la respiration un peu courte, et à travers le carreau il contempla la ville ; la mer arborait des tonalités grises, sa tenue de froid et de vent, le long du quai des passants semblaient figurer les silhouettes dans un film muet, on se sentait au profond de l’histoire, la pierre et l’eau, l’extrême de la conquête. Demetan ressentait un apitoiement profond, il aurait voulu pleurer sur lui-même, ce morceau de paysage entrevu lui semblait la justification de tous ses désirs ; cependant il n’ouvrait pas la fenêtre, il ne se croyait pas le droit d’aspirer les effluves marins, d’appeler le spectacle dans sa poitrine et dans ses yeux. Il se sentait un passager frauduleux, un aigrefin qui parade dans la soie mais n’a pas payé sa chemise, il était aimanté par cet environnement qui lui était interdit.
Quand il s’arracha à cette vue, Troskami se sentit épuisé, les pensées coupables qui l’avaient dévoré en cette matinée le laissaient amer et consterné, il descendit les escaliers de l’hôtel rigide comme un pantin et prit au hasard la première rue venue. Quand il s’assit dans la petite salle chaude d’une taverne, il fut pris d’une soudaine envie de manger ; on lui servit du vin auquel il n’était pas habitué, lui qui n’avait connu que la rakia, et il s’étonna bien vite de ce vague qu’il éprouva, il fut comme heureux de ce vacillement des choses. L’alcool changea l’appréciation qu’il avait eue jusqu’alors de sa situation ; la réalité était qu’il n’appartenait à aucun parti, qu’il n’était l’élu d’aucune organisation, que rien de sérieux ne le liait ni à ses connaissances ni à son pays, il pouvait s’éloigner sans rien dire, il était jeune, il travaillerait, il demanderait l’asile et sa vraie patrie mentale deviendrait le lieu de sa vie. Chaque nouvelle gorgée le convainquait un peu plus de son innocence, il advenait vierge à une destinée pure.