Quimper

Quimper (23/09/24)

Je suis entrée à Monoprix avec l’idée de prendre n’importe quel vêtement sur un cintre, d’aller dans une cabine d’essayage pour me coiffer et me remaquiller. Le vêtement constituerait à la fois le prétexte et l’autorisation. Mais il s’agissait d’un tout petit Monoprix et d’un coup d’œil circulaire, j’ai su que je n’oserais pas. Il me faudrait ouvrir mon sac, y plonger à la recherche d’un peigne, d’un rouge à lèvres tout en abandonnant la veste qui me servait d’excuse, alors que la caisse était proche et les vendeurs aux aguets. Je n’oserais pas. Il s’agissait pourtant d’un écart bien insignifiant, juste le temps d’user d’un miroir quelques minutes et de ressortir. J’eus l’idée d’un autre moyen, retourner dehors, m’asseoir sur un banc et bricoler mon ravaudage assez discrètement pour que les passants n’y prêtent guère attention. Tandis que je franchis la porte de sortie, je tombe directement sur une jeune femme un dossier à la main, sans aucun doute, c’est elle. Oui, c’est bien elle, et j’ai les cheveux en bataille, le teint de celle qui s’est jetée dans le premier train du matin, a couru les rues, ne sera pas allée jusqu’au banc où se réconcilier avec son image et devra affronter le rendez-vous dans cet état.

C’est étrange comme un ratage aussi minime peut conditionner la suite. Je ne voudrais pas qu’elle me regarde, je voudrais abréger la visite, les formalités, les explications, je voudrais lui tourner le dos.

Parfois les choses sont bizarrement têtues. Comme si elle s’adressait à une femme coiffée, au teint doré, comme si simplement elle pouvait composer avec mes imperfections et mes failles, elle nourrit la conversation, bien plus que de l’écourter elle la prolonge et petit-à-petit elle en vient à ce qui l’anime elle, ce qui l’invite à la curiosité par-delà les rides et l’allure fade des mauvais jours : je suis écrivaine.

Ce cadeau qu’elle m’offre, des questions sur mon travail, ce cadeau qu’elle est peut-être la première à m’offrir, tandis que je me plains de mon anonymat, de ma lutte ignorée, ce cadeau je le refuse, je n’ai pas de visage à lui tendre, de traits à lui montrer, mon peigne, mon rouge à lèvres, ils m’ont tout fait manquer.