Nancy, 24/09/24
Même si le petit-déjeuner express de l’Excelsior a pris trois euros en quelques années, le matin, à l’arrivée du train, la petite flûte et son beurre des Charentes, le chocolat chaud continuent d’apporter un réconfort précieux. En dépit de la proximité de la gare et de la multiplicité des voyageurs, la clientèle d’habitués, un journal à la main, sous les festons immuables de la salle Art Nouveau semble avoir suspendu le temps. On s’assied là comme dans un décor qui fait remonter les années, la fresque centenaire, révélée il y a quelques mois après des décennies sous son masque, ajoute à l’illusion de ce retour.
Je suis venue là pour le festival du Livre sur la Place, quelques exemplaires de ma dernière publication dans ma serviette, j’irai m’installer bientôt derrière une des tables du chapiteau, bonne petite commerçante à tenter de diffuser l’indiffusable. Depuis la fenêtre de mon compartiment, j’ai anticipé cette étape salutaire, la chaleur d’un déjeuner dans cette brasserie de toujours. Quelque chose pourtant ne va pas. Il y a sur ma gauche ce tête-à-tête d’un journaliste et d’un écrivain, manifestement un entretien qui fera l’objet d’un article, et j’use ma mémoire à mettre un nom sur cette vedette. Non loin, j’observe deux hommes parlant littérature, avec l’assurance de ceux qui savent, de ceux qui profèrent les jugements et comprennent qu’ils feront la loi.
Je tâte à travers le cuir de ma serviette l’angle saillant de mes volumes, et je me sens soudain comme un démarcheur qui vient sonner à la porte d’un domicile, d’un carillon indésirable et intempestif. En voilà quatre qui me ravalent sans le savoir au rang d’un V.R.P.. Quelque chose encore ne va pas. Le serveur est bien lui-même, que je connais depuis des lustres, mais on le sent agité, fébrile, et c’est alors que je remarque ce qui aurait dû me sauter aux yeux, toutes les tables sont dressées, nappes blanches et serviettes en cornets, malgré l’heure précoce la presse de midi se ressent déjà : toute la salle réservée pour une grande invitation officielle.
D’exclusion en exclusion, sans plus aucune assurance, je dirige mes pas vers ce pavillon où d’emblée devant mon livre je voudrais afficher : soldé !