Brest

Brest 4/10/2024

Je suis la femme des gares. Une ville qui s’ouvre depuis la gare est une ville découverte depuis son centre. À l’exception des arrêts quelque peu fantomatiques des lignes à grande vitesse dans des zones de campagne, les stations ont été édifiées à une époque où le développement de l’urbanisme les a bientôt circonscrites. Et même si les abords immédiats sont rarement agréables, il n’y faut que quelques rues pour accéder aux monuments, aux carrefours essentiels. Hier, j’ai abordé Brest par la route, la voiture a suivi la voie rapide, s’est engagée dans une première rocade, partout il y avait des jonctions, des destinations aux noms repoussants inventés pour les besoins du commerce et de l’industrie, puis le parcours a suivi, comme une espèce de passage obligé, une série de hangars gigantesques à l’estampille de marques de grande diffusion, une laideur reconnaissable et hostile qui ne peut guère se fréquenter qu’en disposant d’un véhicule.

Très tôt on avoisine la ville sans y être. À la regarder ainsi, encerclée de béton et de bruit, on s’en voit rejetée, ne trouvant plus de refuge qu’à rester blottie dans la cellule aux quatre places, volant et moteur. Brest n’a jamais eu la réputation d’être belle, du moins dans le sens que l’on donne à une beauté exhibant le passage des siècles. Ayant souffert d’immenses destructions elle s’est construite selon des plans géométriques, des frontons sobres et solides, des avenues larges. Et justement l’on y marche, l’on y guette la mer en bordure, l’on y perçoit le singulier côtoiement de l’espace architecturé et de l’étendue océanique.

Mais, hier, Brest s’annonça comme une périphérie d’entrepôts et d’échangeurs, ces chancres que la visite des centres élude si volontiers. Brest était donc cela qui disait sa puissance économique, son marché du travail, son activité portuaire, cela qui me faisait à chaque virage plus petite, à chaque détour plus perdue, à chaque circonvolution un être humain fragile et minuscule face à la sauvagerie du capital.

Et soudain, moi qui toujours était entrée par la gare, l’accès par ces coulisses jusqu’alors ignorées a bousculé mon rapport à la vérité : le centre n’était que paraître, l’entour en était la couronne. Tomba alors toute probabilité de faire de cette ville, ma ville.