
Lannion 29/09/2024
J’admire, dans un salon du livre, la capacité qu’ont les gens de parler d’eux. Je dis les gens, car paradoxalement l’affaire ne s’en tient pas au côté de la table ou s’asseyent autrices et auteurs. Dans l’allée, les passants et passantes sont tentés avec la même avidité de se raconter. À Nancy, mon voisin, qui avait publié deux ouvrages sur l’expérience de la mort imminente, a passé la journée à prêter attention aux récits portant sur mon oncle, ma tante, la grand-mère que j’ai accompagnée dans ses derniers instants et je me suis demandé s’il s’agissait de micro-séances de psychanalyse. Comme le témoignage répété portait sur le souvenir ébloui de cet état de stase, un des visiteurs a conclu avec beaucoup de gravité : c’est la preuve que l’enfer n’existe pas. Depuis, je répète à l’envi cette proposition dont la drôlerie et le grotesque m’émerveillent. À Lannion, la prétention métaphysique se révèle bien moindre : l’abondance d’écrivains parfaitement mineurs, auto-édités pour la plupart, oriente les questions dans un sens beaucoup plus pragmatique. Un monsieur s’adresse à moi comme si j’avais le pouvoir de le sauver du marasme, il n’a qu’un but, que je l’oriente vers ma maison d’édition, que je le recommande, que je lui permette d’échapper au silence. Il ne semble pas voir sous ses yeux Votre manuscrit n’entre pas dans le cadre de nos collections, ce pamphlet que j’ai rédigé comme la déploration même de ce qu’il décrit de sa situation. Non, je ne suis non seulement pas le bon intermédiaire, mais je pourrais déambuler avec un même mélange d’avidité et de désespoir afin de me frotter aux grands qui sauraient faire retomber sur mon oubli quelques feux consolants.
J’écoute et je me tais.
En face, un auteur en breton tient les curieux arrimés à son stand chaque fois pas moins de dix minutes. Je ne saisis que des bribes, mais on dirait qu’il garde prêtes quantité d’anecdotes folkloriques qui dépeignent la Bretagne et dont on ne peut briser le cours qu’en déclarant : j’achète. La poétesse à mes côtés choisit le mode de la complicité citadine, identifiant les visages, elle interroge sur la santé, le nouveau, elle montre d’une main ses recueils modestes, on peut ouvrir son porte-monnaie pour le bienfait d’une voisine. Ces accroches, je m’en sens incapable. Lorsque je décris brièvement mon livre, je crois en réciter la quatrième de couverture et cette énonciation monotone n’embrase aucune étincelle au regard de l’autre.
Moralité : la journée me vaut les vingt euros de la location.
Seconde moralité : si j’ai un texte à penser aujourd’hui pour mon bienfait, qu’il s’intitule Votre manuscrit entre en relation ? en communication ? ou peut-être en fréquentation ?