
Paris 10/10/2024
Dans un passage du film Divertimento, la jeune Zahia, qui cherche à entraîner les élèves du lycée Racine à former un orchestre, leur annonce qu’elle a trouvé un lieu pour les répétitions, et ce lieu c’est le conservatoire de Stains. Mais voilà, Stains appartient à une réalité qui ne figure pas dans la géographie mentale de la jeunesse du VIIIe arrondissement. Élevés dans le mépris social, plusieurs apprentis musiciens renoncent d’office : on ne va pas au-delà des portes de Paris.
Je suis faite de ces mêmes préjugés, au moment de prendre le train de banlieue, j’entends encore l’exclamation offusquée de ces adolescents, qu’on va leur voler leurs instruments ! Pour moi aussi s’engage l’aventure, mais une sale aventure, marquée d’exactions et de faits divers dont on ne réchappe que par fortune ou par chance.
Gare du Nord : pire gare de la capitale. Je me dirige vers les lignes de banlieue, tête baissée, les mains crispées à la courroie de ma sacoche, mon billet imprimé pour ne pas avoir à sortir mon portable dans cet environnement hasardeux. Ma droite ligne aboutit à la barrière magnétique qui refuse de valider mon titre de transport : ma lecture sombre des réalités périphériques m’oblige à voir là un signe avertisseur. Peut-être le plus indiqué serait-il de rebrousser chemin ? Des contrôleurs dans les parages m’expliquent que je suis au mauvais endroit, que mon train se trouve dans le hall des grandes lignes.
Grandes lignes : ces mots ont sur moi une valeur libératrice. Je ne vais donc plus strictement en banlieue, j’emprunte un train qui mène jusque dans des régions assez lointaines pour mériter le nom de province. Mon pas se fait aussitôt plus léger, je monte à bord pour constater que le confort paraît normal, que les gens nombreux ne semblent pas figés de crainte, je peux abandonner ma vigilance. Je sors avec satisfaction mon livre du moment, sa couverture noire m’interpelle, trois-cents pages de crimes et de violences, comme il m’est donc facile de quitter les quartiers confortables pour frissonner à Caracas ou à Manille dès lors que j’évolue dans des villes de papier !