Évian

Évian (25/09/24)

Elle me dit qu’en hiver on voit mieux le lac, qu’on l’aperçoit à travers les branchages après la chute des feuilles, elle me dit que l’appartement a vue sur le lac, mais, qu’en termes d’immobilier, on appelle cela plutôt une petite vue. Délicieux euphémisme. En effet, il n’y a pas d’obstacle strict entre l’immeuble et l’eau, pas de mur ou de construction, mais l’étendue du parc avec ses arbres et ses troncs. Je devrai me contenter de la petite vue, quand bien même j’aurais rêvé d’étendue lisse et de bateaux mêlés aux mouvements des nuages et des brumes. Elle me dit que le parc est à lui seul toute la richesse de cette habitation, que les propriétaires se retrouvent simplement pour décider du choix de telle fleur, de telle plante dans un massif, qu’ils s’entendent ou se mésentendent sur les couleurs qui domineront la saison. Elle me dit qu’avec le printemps les uns et les autres sortent leur transat et qu’on les trouve disséminés occupés de lecture ou de bronzage, que tout cet espace leur appartient et que ce mode de vie a quelque chose d’une exception.

Je me dis qu’Évian n’est peut-être jamais que cela, un grand parc où des vieillards fripés se rendent aux thermes, où des retraités de demi-fortune contemplent la Suisse fortunée tout en face. Je me dis qu’un paquet de biscuits coûte treize euros à Lausanne.

Et plus tard, me revient en mémoire un propos auquel je n’avais pas prêté attention lors de la visite, que cet immeuble avait été un hôtel, un hôtel d’épaisseur historique, puisque c’est là qu’avaient été signés les accords d’Évian. C’était donc dans ce lieu qu’était né l’état algérien dans son indépendance chaotique, que l’état colonialiste français s’était défait, malgré des années de répression désespérée, d’un des derniers territoires de son empire.

Je me dis qu’en ce monde, oser déplier son transat suppose l’immense capacité humaine à faire taire en soi la réalité, l’immense capacité à l’oubli.