Hors lieu

Hors lieu, 14/02/2025

De place en place, j’ouvre une porte, pousse une porte, referme une porte, et le jeu reprend plus loin, des portes et des pièces derrière les portes, des pièces emboîtées dans des bâtisses, des bâtisses implantées dans des rues, des rues dans des villes et le jeu reprend sans que je sache s’il y a une fin.

Cette nuit, cette quête véritable a pris soudain un tout autre sens. Mon songe a gommé les rues et les villes, la nécessité des voyages, les rendez-vous et les visites, il a tout fondu, confondu. Il n’y eut plus de maison d’ici ou d’ailleurs, mais une seule maison, étirée sur des centaines de kilomètres, franchissant les frontières, regardant sur la montagne et sur la mer, la campagne et l’agitation urbaine à la fois. Une maison si étendue, que dans le rêve j’interrogeai un diplomate, lui demandant s’il était déjà entré par l’autre accès, celui à l’opposé, tellement distant qu’il ne pouvait être gagné à pied. Le diplomate me répondit que oui, il avait atterri avec son avion tout là-bas, il connaissait donc l’aile de l’extrême Est. À l’écouter, je me réjouis d’une opportunité si formidable, n’avoir plus à adopter un emplacement au détriment des autres, profiter simultanément d’horizons contrastés, vivre concrètement l’expression galvaudée de citoyenne du monde.

Les lieux recouverts par cette habitation extraordinaire se dessinaient comme une carte de géographie, une réduction vue du ciel, l’image que j’en avais ne comportait ni reliefs, ni noms, mais se traduisait par une bande noire, dont l’arc correspondait approximativement au Nord de la Russie, telle qu’elle commence du côté de la Finlande et se prolonge le long de la mer de Barents.

En ces temps d’impérialisme russe affirmé, je suis en droit de me demander si la grande maison résulterait d’une guerre de conquête ayant absorbé tous les rivaux, ou si cette zone imaginée tout en noir, plutôt qu’avec les couleurs habituelles d’un atlas, n’annoncerait pas le seul domaine tranquille, celui où effectivement toute différence s’efface, toute appartenance disparaît : la tombe.