
Paris, 3/3/2025
Le type est arrivé devant le placard ouvert à deux battants, et sa première exclamation a été de dire, d’habitude il n’y a rien, mais là, oui, c’est quelque chose. Pour vingt euros, j’avais proposé de vider des étagères de vaisselle, en effet, il en restait beaucoup, d’assez belle qualité mais complètement disparate. Des assiettes d’un côté, des vases de l’autre, des tasses à café, des bougeoirs, des dessous de plat, des plats, tantôt blancs, tantôt roses, en faïence, en porcelaine, remontant aux années 50 parfois, entreposés là depuis des décennies pour la plupart sans servir aucunement. Comme le type n’avait prévu que deux sacs, il s’est rendu au supermarché voisin faire provision de cabas plastifiés qui contiendraient cette manne. Sans considération pour la fragilité et le risque de la casse, il a simplement empilé, empilé les objets, fourgué tranquillement les verres à pied par-dessus, ces fameux verres qu’il était interdit de mettre à table car justement on les briserait – le cristal proscrit, on s’était contentés durant des années de boire dans du verre blanc –, et voilà qu’ils finissaient en haut d’une pile cliquetante dont l’intégrité ne pouvait être longue.
Des semaines plus tard, le hasard me fait devoir donner une nouvelle série d’éléments de cuisine et me vient à l’idée de rappeler le même preneur. Il s’empresse, avec de plus nombreux sacs cette fois, et, toujours avec sa technique barbare, mélange casseroles, bols et soucoupes, couteaux et couvercles, provoquant dès lors qu’il soulève les anses un fracas peu rassurant. Comme je lui demande des nouvelles de son premier voyage, il confirme le fait que tout s’est très bien vendu, qu’il a donné aussi à la famille, et je me suis imaginée comment, sur des étals de Montreuil ou de la Porte de Saint-Ouen, la vaisselle du dimanche, celle qui devait demeurer à la salle-à-manger, surtout ne pas entrer dans le quotidien de la cuisine, avait pu s’éparpiller en lots de quelques euros, comment par fragments elle trônait aujourd’hui sur des tables inconnues, comment elle retournait à la vie, après une longue asphyxie à l’abri des portes fermées du placard.