La Rochelle

       

La Rochelle 04/06/2025

Tu le sais parfaitement que ce sont des usines, des usines à l’impitoyable débit, qu’aucun de ces restaurateurs ne s’y entend en restauration, que la saison touristique te rend tellement anonyme que peu importe ton jugement, seul comptera le profit extorqué de ta rapide visite, de celle de centaines d’autres, avant et après toi. Tu le sais, ou tu le devinerais à la simple vue de cet alignement féroce, terrasse contre terrasse, des crêpes et des pizzas, des poissons grillés, des poissons marinés, des salades de ci et de ça, du riz cantonais, de la moussaka, un joyeux pêle-mêle où défilent des références d’un monde que personne n’a parcouru mais t’exhibe en approximation sur un plateau.

Tu le sais parfaitement que l’on ne s’assied pas devant le monument célèbre, sur la place la plus populaire, face à la vue imprenable.

Tu en as l’expérience de ce premier détour qui mène vers les arrières ou soudain la foule a déserté et où la qualité d’autant a monté.

Malgré tout ce savoir et malgré tes voyages, tu entres à La Rochelle en cette heure de midi où l’unanimité s’est faite sur le vieux port, autour de la citadelle, des milliers de candidats à la pause prandiale ont renié tout jugement, d’esthétique ou de goût, et comme eux tu te laisses subjuguer. Tu feuillettes les pages grasses d’un vieux classeur plastifié : tu t’étonnes de ce que la maison puisse aussi bien te préparer des moules frites qu’un donburi au poulet, mais il doit faire trente-cinq degrés sous cet auvent. Tu apprends qu’on ne donne pas de pain, que le dessert est une dame blanche, mais tu as traîné ta valise jusque-là et la série des déconvenues pourrait s’étendre à l’infini que tu n’en décollerais pas.

Tu loueras jusqu’au bout ton aperçu du quai, t’infligeras jusqu’au bout ta fade assiette, et même, hébétée, conserveras longtemps ton envie moutonnière.