Lannion, 25/11/2024
Il m’avait semblé être un livreur ; le diable à l’extérieur de la boutique, diable sur lequel étaient empilés trois cartons, obligeait la vendeuse à des allées et venues afin de déposer à l’abri les lourds colis. Je m’attendais à ce qu’il tende la facture, pour qu’elle soit validée comme il convient. Mais il a lancé une question que je n’ai pas entendue et dont j’ai compris le sens lorsque le système informatique a livré sa réponse : 101 exemplaires vendus. Il a ponctué : j’en ai rapporté 100. Je n’avais aucun nom à lui mettre, mais sa vocation était soudain devenue claire, non, il n’était pas magasinier, il était écrivain. C’est-à-dire que cet inconnu, âgé, d’apparence insignifiante, était susceptible d’écouler dans la librairie d’une sous-préfecture de province un premier cent et projeter d’en écouler un second avec la simplicité d’un produit à lessive. À ma table, d’où j’observais le manège, j’étais arrimée depuis deux ou trois heures sans avoir suscité le moindre intérêt, non que la clientèle ne soit nombreuse en cette matinée, mais que sa curiosité soit aimantée par des titres dûment commentés, obligeamment recommandés.
Un cent, un tel chiffre me ferait presque rêver, combien de mes livres avaient jamais atteint ce sommet, après des mois de commercialisation ? De mémoire, je n’avais même jamais payé d’impôt sur les droits d’auteur. J’avais reçu très officiellement l’avis d’Armand Colin m’indiquant qu’au-dessous de cinq euros la maison se réservait le droit de laisser passer une année pour la reddition des comptes, évitant ce faisant le virement de sommes par trop minimes.
Cet homme, quelle recette avait-il donc trouvée pour faire recette ?
Et moi, quelle combinaison repoussante avais-je concoctée pour clore ainsi une journée de signature : bredouille ?