
Paris, 05/03/2025
Assis tous deux à l’arrêt du bus, une jeune femme, un jeune garçon. Soudain, la jeune femme ouvre un classeur, demandant à son voisin s’il peut répondre à une question liée au texte qu’elle lui soumet, réponse qu’apparemment tout le monde pourrait produire à la condition de parler français. Lui se plie volontiers à cette interrogation, il lui adresse la parole dans un anglais de lycée à peu près respectable, l’aide, en suivant les lignes sur la feuille, à résoudre ce problème linguistique. La conversation s’engage, par-delà la nécessité initiale : depuis mon observation en tiers, je n’ai aucun mal à comprendre que le garçon est comme porté par la magie de la situation. L’Américaine laisse passer un premier bus, afin de ne pas interrompre trop brusquement le dialogue, puisqu’il s’est montré serviable. L’on sent malgré tout que sans avoir beaucoup plus d’âge, elle a beaucoup plus de maturité et d’expérience, qu’elle accorde à ces instants un parfait naturel, tandis qu’il se passionne. Cependant, le voilà involontairement propulsé hors de la scène, regardant sa montre, répétant que sa mère va s’inquiéter, pointer au foyer l’oblige à se lever finalement et partir. Il est touchant de le voir ramené à un statut d’enfant, là où il voudrait user de sa virilité naissante ; or, justement, imprégné de l’idée qu’il doit être à l’initiative, il demande à la fille son numéro de téléphone, ce à quoi elle consent, puis il ajoute « Do you know this word : bise ? », elle acquiesce.
Je tressaille : il vient de commettre une triple maladresse. D’une part, l’aisance de l’interlocutrice prouve assez qu’elle évolue tranquillement dans le registre de la camaraderie, d’autre part, les Nord-Américains éprouvent généralement de la répulsion pour nos démonstrations physiques un peu collantes, enfin, en s’employant à coïncider avec le stéréotype du mâle balourd, l’adolescent compromet tout son charme. Conclure cette simple entrevue en embrassant la fille comme du bon pain participe d’une naïveté qui me donne quelque pitié pour lui. Toutefois, elle s’en sort très bien, elle admet le jeu jusqu’au bout et il s’en va heureux.
Tout à sa convoitise, il n’aura compris ni la distance, ni l’affabilité, ni la mansuétude. Il va compter les heures, les jours avant de l’appeler. Elle s’assied dans le bus avec moi, je l’observe et je récapitule : elle m’a offert la belle linéarité de son comportement, cette sorte de confiance qui n’a besoin ni de débordements, ni d’excès, maîtrisant la limite. Il n’aura représenté dans la nuit commençante, le passage harassant des voitures sur le quai, les phares jaunes et les clignotants, qu’un souvenir de comédie : « Do you know this word : bise ? », elle ira à ses amis répétant : « Do you know this word : bise ? » !