
Paris, 09/05/2025
Les richesses minérales semblent, pour Jean-Jacques Rousseau, avoir été enfermées dans le sein de la terre afin d’être tenues éloignées du regard des hommes et ne pas tenter leur cupidité. L’exploitation minière témoigne de la corruption progressive d’une société, de son attirance pour des biens imaginaires qui prennent la place de biens réels pour lesquels le désir s’est perdu. Cette suspicion s’exprime à une époque où cet ouvrage en est évidemment à ses balbutiements et l’écrivain n’a pas l’idée de ce que les carrières sont aujourd’hui vidées de manière forcenée. Qu’il suffise de passer aux abords de Carrare pour apercevoir une montagne impitoyablement sciée, découpée, équarrie pour en extraire du marbre qui finira en dalles veinées sous nos pieds. Le caractère souvent dérisoire de la destination donnée à ces pierres nous oblige.
Je suis entrée dans cette petite boutique près du cirque d’Hiver à la recherche d’un plan de travail pour la cuisine. J’ai examiné des échantillons de granit avec une certaine indifférence, d’une couleur anthracite plus ou moins nervurée je pouvais choisir l’un ou l’autre. C’était avant de découvrir une vaste table, dont le plateau racontait en variations colorées, en torsions et volutes, une histoire géologique préhistorique. Le magma en fusion, se refroidissant lentement, accédant en quelques millions d’années à la croûte terrestre, broyant, mêlant, absorbant tous les éléments de rencontre, s’offrait dans sa mystérieuse illisibilité. Ayant été poli modérément, le toucher permettait de découvrir un léger bosselage, comme la reproduction en miniature des aspérités et des saillies naturelles d’un immense gisement.
J’oubliai à l’instant l’ensemble de mes préventions, je fus sans pitié pour la terre, je réclamai mon fragment de Verde Lapponia, qui, par une espèce de revanche sur ma frivolité, s’avoua par sa rareté inaccessible à l’inconséquente écologiste que je suis.