Rocamadour, 22/08/2025
Des citations relatives aux mérites du livre et de la lecture, cela ne manque pas ; Victor Hugo en fournit généreusement de nombreux exemples. L’essentiel consiste à ériger la découverte de l’écrit en un rempart contre l’ignorance. Cependant, je suis perplexe à l’idée que les livres aient constamment cette efficacité. Le flagrant contre-exemple, celui du bovarysme, dénonce au contraire l’effet pernicieux du roman sur l’esprit tendant à confondre l’envol d’un récit et le terre-à-terre de l’expérience. Haruki Murakami ajoute à cette restriction le constat que lire ce que tout le monde lit conduit à penser ce que tout le monde pense. C’est-à-dire qu’il inclut dans la critique l’espèce de massification des ventes, visant à niveler les contenus au détriment de l’originalité littéraire et de la pertinence du propos. Personne ne va à l’encontre de ces affirmations, si ce n’est qu’une indépassable limite s’annonce dès lors qu’il est question de livres qu’on estime sacrés. La règle qui s’applique à ces textes est radicalement autre : déchiffrés et même ressassés par des milliards de gens, ils ne semblent pas nuire à l’uniformisation des esprits, développant d’improbables légendes, ils ne semblent pas contrevenir à la partition entre le vrai et le faux.
Ces observations me sont venues sur la colline de Rocamadour, où, en ce 22 du mois d’août, de jeunes garçons en soutane agitent des ostensoirs d’encens dans le plein soleil de l’après-midi, faisant halte aux différentes stations du chemin de croix, psalmodiant les versets bibliques. Soudain, j’ai douté sérieusement des livres et de leurs bénéfices supposés, sachant qu’à quelques milliers de kilomètres de là, au nom de deux volumes cultuels, les peuples s’exterminaient dans une surenchère de violence dont l’origine tenait à des pages de récit.